Le 8 mars dernier, la chaîne de télévision publique France 2 diffusait un reportage, dans son programme d’investigation Envoyé Spécial, consacré au secteur des Ressources Humaines.
À travers le témoignage, édifiant – et volontairement effrayant d’un ancien DRH, la première partie de l’émission n’est pas restée inaperçue. Apanage des réseaux sociaux, Twitter et LinkedIn en tête, les réactions en tout genres n’ont pas tardé à fuser dès la fin du reportage. Tweets cinglants et hashtags indignés se sont rapidement érigés en porte à faux contre la mauvaise presse faite, une nouvelle fois, au secteur des Ressources Humaines.
le #HRbashing est de retour grâce à la médiocrité journalistique de #EnvoyeSpecial https://t.co/sl1XcMoU7D #RH #RHbashing
— Vincent Berthelot (@VinceBerthelot) 9 mars 2018
Faut-il, face à ce constat glacial de la situation des RH dans certaines entreprises en France, crier au scandale ? Faut-il feindre une indignation hypocrite et fermer les yeux sur une réalité malheureuse ?
Certes le personnage de Didier Bille, cet ancien DRH « faussement repenti » est détestable. Ses méthodes et ses raisons sont immorales et contraires à l’éthique. Néanmoins, il n’est, in fine qu’un simple instrument. Celui d’un modèle de management d’entreprise désuet et axé sur la mesure des performances n’existant que pour justifier des pratiques immorales dans l’exploitation déshumanisée d’employés soumis à un régime de la peur. Il est dans notre propre intérêt, nous, salariés, employeurs, indépendants, free-lances d’y mettre un terme en ré-humanisant nos relations professionnelles et notre vision du travail.
Didier Bille, mercenaire RH ?
Que ce soit son discours ambiguë, ses méthodes ainsi que ses motivations troubles, tout chez Didier Bille dérange. Soi-disant « non-violent », créature monstrueuse des RH ; l’erreur serait de croire que Didier Bille n’est que l’unique spécimen d’une espèce inexistante dans un monde fait de gentils DRH où les pratiques immorales n’auraient pas lieu d’être et où les licenciements abusifs n’existeraient pas.
Fier, calculateur et manipulateur, Didier Bille n’est ni plus ni moins qu’un outil désincarné. Il n’est que le produit d’une culture d’entreprise ultra-libérale « à l’américaine » bercée aux TV Shows tel que The Apprentice. À l’image d’un Donald Trump, en patron impitoyable, hurlant à la figure de ses salariés « You’re fired !! » (Vous êtes virés !!) dans sa propre émission télé, Didier Bille n’est que la personnification cruelle de la petite phrase assénée à tous les employés ayant eu le malheur de décevoir leurs employeurs.
Toujours sur le registre du sensationnel, la rédaction d’Envoyé Spéciale n’hésite pas à mettre son « exécuteur » en scène dans le but de dramatiser encore plus le propos. Solitaire, homme de l’ombre sans peurs et sans reproches, Didier Bille officie en secret et en silence « pour faire le sale boulot ». Il est un mercenaire monnayant ses services aux plus offrant.
Les méthodes
Quand il faut « faire disparaître les salariés en silence », les méthodes ne manquent pas. Inventer des allégations, calomnier, exagérer et scénariser le tout pour écraser toute volonté de l’adversaire… voilà des méthodes éprouvées, à travers l’Histoire, pour se débarrasser des personnes devenues gênantes. Ici, les faits n’existent pas. De simples allégations fleurissent sur un terreau fertile fait de suspicions constantes et de surveillance organisée. Toutes les raisons sont bonnes pour écrémer les effectifs d’une entreprise
Les raisons on les connait. Dans ces entreprises, il n’est pas question de donner de seconde chance ou de former un employé pour lui donner l’opportunité de s’épanouir professionnellement. Cela ne vaut pas le temps. Encore moins l’argent. Pour quelles raisons un employé devient-il soudainement inutile ? Son travail est-il mieux fait par une machine qu’il en devient plus inutile que productif ? Même si cette rationalité, héritée des grands penseurs libéraux (F.Taylor, A.Smith), est en passe de devenir une réalité avec l’automatisation croissante du travail (manuel et intellectuel), il n’en est, ici, aucunement question.
Ainsi, au centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse, où le souci de rentabiliser les soins a conduit la direction à se convertir au « toyotisme », quatre membres du personnel infirmier se sont donnés la mort au cours de l’été 2016. Ce sont, purement et simplement, des dérives managériales néfastes.
L’évaluation des performances
Dans ce numéro d’Envoyé Spéciale, on apprend qu’un indice de performance est utilisé pour évaluer les employés de certaines grandes entreprises. Formulée à partir d’une certaine idée de l’Organisation Scientifique du Travail, l’utilisation de cet indice de performance créé par General Electrics pour évaluer – et contrôler – ses salariés, reste parfaitement légale.
Si l’on émettra des doutes sur la pertinence d’un tel outils à l’heure du « bonheur au travail » et de l’auto-évaluation, on observera moins de retenue sur son utilisation au quotidien et sur sa finalité. Utilisé principalement à des fins managériales, cet indice de performance opaque sert, accompagné d’autres critères de performances, à classer les salariés dans différentes catégories qui serviront par la suite à « la moisson » planifiée par l’entreprise. Basé sur des quotas aussi absurdes qu’arbitraires, le licenciement « au fil de l’eau » est mis en place pour éviter les plans sociaux – ou plans de restructuration pour les plus timides – et les scandales qui vont de mises. Imposés par la Direction, ces quotas justifient « la sous-notation forcée » – pratique illégale -, mais aussi bon nombres de pratiques immorales.
Comment licencier pour fautes un employé modèle ? Dans ce genre d’entreprises, un employé qui ne pose pas de problèmes en est un. Équation impossible à résoudre pour l’équipe RH, il leur suffit pourtant d’introduire une ou plusieurs inconnues et la solution apparaît d’elle-même. Objectifs irréalisables, pressions excessives sur la charge de travail… tout est bon pour pousser le salarié à la faute. Triste constat quand on apprend – dans ce reportage – que 46 % des DRH en France estiment avoir des pratiques peu éthiques [1] dans le cadre de leur travail. Face aux abus de pouvoirs hiérarchique, la défense et la protection des salariés est un droit chèrement gagné dont la plupart d’entre nous s’accordent à dire qu’il est une bonne chose. Or, paradoxalement, la figure symbolisant la défense de ce droit – le délégué syndicale – reste mal perçue et constitue une menace à l’intérieur de ces entreprises. Toute velléités de camaraderie, d’entraides salariales sont étouffées. Il n’y a pas de places pour l’humain dans ces Ressources Humaines.
Ré-humaniser les RH
Entendons-nous bien, la gestion des Ressources Humaines était délicate hier, l’est toujours aujourd’hui et le sera d’autant plus demain face à l’automatisation grandissante de notre société. Invoquer la flexibilité du travail et des compétences professionnels face à la montée en puissance des systèmes automatisés ne justifie, en aucun cas, les pratiques immorales mises à l’oeuvre dans ces entreprises.
Combien d’hommes et de femmes, à l’image de Claire et Thierry – les deux exemples du reportage – s’en remettront et trouveront la force d’avancer de nouveau ? Combien de burn-out allons-nous devoir recenser avant de comprendre qu’il existe toujours une souffrance au travail. Non plus physique mais psychologique. Distiller un climat de peur à l’intérieur d’une entreprise me semble, non seulement peu épanouissant pour les employés, mais aussi totalement contre-productif pour l’entreprise. Personne ne veut vivre sur un « siège éjectable » et encore moins travailler dessus. À l’heure où l’on entend parler de « bonheur au travail » à tout bout de champs, l’instauration d’un régime de la peur tel que celui-ci, les pratiques immorales et la chasse aux sorcières faite aux délégués du personnel nous feraient presque croire à une épidémie d’hypocrisie.
En dehors de toutes considérations politique, le délégué du personnel recueille et concentre, de par sa fonction et son statut, les paroles et les attentes des employés d’une entreprise. En cela, son rôle est déterminant dans l’instauration d’un dialogue constructif avec les salariés et permet la création d’une relation professionnelle basée sur la confiance. Et non la méfiance. Voilà une des conditions à l’émancipation du salarié dans son entreprise où ses compétences, quelles soient acquises lors de sa formation initiale ou dans le cadre d’une VAE, sont quotidiennement reconnues par l’entreprise et mises au service de celle-ci. En effet, l’épanouissement professionnel passe aussi par l’apprentissage et la formation continue qui confèrent un rôle, un sens, un sentiment d’apporter une vraie valeur à son travail.
Dans un contexte de bouleversement sans-précédent du marché du travail dans les années à venir impulsé par la les algorithmes et la robotique intelligente, il est urgent de repenser la quête de sens au travail. Par pitié, arrêtons avec les échelles, les chiffres et les indices de performances. Méritons le H du DRH. Laissons les chiffres aux machines…
[1] Baromètre de l’Observatoire Cegos – Sept 2016